Keska et le toutou

Un récit d’amour de Saint-Raphaël écrit après un séjour magnifique dans la ville cet hiver. Merci aux Raphaëlois qui nous ont si bien accueillis 🙏🌹

Il y a des jours, vous savez, pas comme les autres. Des jours que le vent se lêve et met du désordre dans les cheveux. Des jours qu’un petit chihuahua blanc arrive pour vous pisser sur la chaussure.

Commencer avec le jour de la pisse n’est pas commencer au début. Au début je ne voyais que des couleurs flous à travers du gros papier bulle. Des fois des couleurs qui se bougeaient. Des couleurs qui, au début, n’avaient même pas de nom.

Je me trouva débalée après un certain temps dans une vitrine intérieure d’un grand magasin à Nice, en face du rayon mâquillage. Là, je ne pouvais pas comprendre grande chose. Certains objets, comme moi, restèrent fixe. Des autres, tout le contraire.

Je parvins lentement à comprendre que les objets qui bougaient marchaient à deux pattes mais aussi, des fois, à quatre.

Pour passer le temps je me décida à apprendre à lire et à identifier les couleurs.

Chris-ti-an Di-or. Gi-ven-chy. Bleu-blanc-rouge-vert-jaune.

Et, des fois, un deux-pattes passa qui portait son quatre-pattes dans une boîte à main Lou-is Vuit-ton.

Je n’avais pas de nom dans ce grand magasin de Nice. Je n’étais qu’un mannequin parmi maints. On ne se parlait même pas entre nous.

Après un certain temps on me brisa un peu le front: une étagère fut tombée. Je m’attendai à être soignée, mâquillée, parce que le mâquillage, ça doit exister pour couvrir les bleus et les blessures, non? Hélas, je me retrouva mal emballée de nouveau dans du gros papier bulle, et renvoyée.

Après un grand voyage dans le noir on me déballa encore. Je voyais un joli deux-pattes aux cheveux marrons qui portait beaucoup de mâquillage (la Roche-Posay, je crois bien) devant moi.

Je me trouvai immédiatement avec un nom grâce à ce gentil deux-pattes, bien que je ne comprenne pas encore tout ce qu’elle me disait: ‘Mais Keska elle est lourde, Keska elle est maladroite, Keska il m’a pris à acheter celle-ci aux enchères…’

Am-an-di-ne sur son badge devait être son nom à elle. Son petit magasin s’appella Préf-Modes de Saint Raphaël.

Amandine venda des robes des écharpes des chaussures. Je fus là pour l’aider. Je faisais mon mieux de les rendre bien quand elle m’habillait. Amandine m’installait, d’habitude, sur une chaise dans la rue, de façon détendue. Des fois elle me tournait vers les magasins en face (il y a le Driv-ing Hotel, Co-co-ri-ri, Les Bou-quets de la Côte d’Az-ure, et quelques autres). Je préfèrais quand Amandine m’orientait un petit peu plus en direction du grand bleu mysterieux au fond de la rue.

Il y avait aussi des messages sécrets écrits au trottoir de temps en temps, et j’en aggrandissais mon vocabulaire.

Ca fait du bien à moi, Keska, de me retrouver dehors pour la première fois de mon existence. Je pus ainsi regarder passer de près les deux-pattes et les quatre-pattes de Saint-Raphaël: bien différent des deux-pattes Niçois et beaucoup moins de boîtes à main Lou-is Vuit-ton. Mais il y avait des quatre-pattes un peu partout.

Ils étaient tous les deux, deux-pattes et quatre-pattes, assez bruyants et de couleurs variés. Je préfèrais les quatre-pattes, qui me regardaient dans les yeux et qui des fois me parlaient, en disant ouah ouah ouah.

J’étais quasiment sûre que ce fut les quatres-pattes qui faisaient les sculptures qui apparaissent quelquefois de nuit au trottoir. Je supposais que un deux-pattes dut s’emparer de son quatre-pattes pour lui serrer tres fort le ventre afin de créer un de ces petits miracles luisants en spiral.

Amandine était très bruyant, surtout quand elle hurla un jour: ‘adieu pour toujours espèce de connard’ à son rectangle et le jète sur son bureau en sanglotant. Ensuite en me sortant pour la journée elle marcha dans un grand miracle au trottoir et me fit ‘mais Keska, c’est que cette salété mais enfin…’ avec une voix pleine de chagrin.

A part les deux-pattes et les quatre-pattes il y avait des autres objets qui bougeaient à Saint-Raphaël, surtout ces objets carrés-roulants multicolores qui bougaient beaucoup plus quand il faisait froid l’hiver. Quand il faisait chaud et le soleil brillait ils n’allèrent nulle part, il y en avait autant.

Quand il pleuvait, Amandine se précipita pour me rentrer dans le magasin au cas ou mon plâtre ne fonde ‘comme le coeur de son ancien mari.’ Moi, Keska, je ne vieillis pas beaucoup au fil des années mais j’entendais souvent Amandine dire à voix basse que hélas, elle n’était plus bien jeune.

Pas loin de la boutique il y eut un autre magasin magnifique, Les Atouts à Toutou. Je voyais passer des jolis sacs en papier imprimés de son nom et d’un image d’un quatre-pattes. J’ai cru comprendre que les quatre-pattes s’appellaient donc des ‘tou-tous’. Après un certain temps, moi, Keska, je me rendais compte que je voulais un toutou à moi, un tout petit toutou dans un petit manteau écossais avec une laisse rouge et un collier diamanté tout beau.

Pour cette raison j’étais bien contente quand le chihuahua blanc arriva pour me pisser sur la chaussure. Amandine courrait bien vite en criant ‘non mais, Keska…’ mais j’y étais pour rien, enfin! Le gentil deux-pattes rêveur qui tenait la laisse (rouge, je notais bien) gronda son toutou en disant ‘Pas encore! Bad dog! Mais non, Pélé, non!’ Le toutou, qui portait un beau chapeau d’hiver (achété chez Les Atouts à Toutou j’en étais sûre) me regardait de travers et se marrait.

Je connaissais donc maintenant deux personnes nommées: Amandine – et Pélé le toutou.

Le deux-pattes s’en alla vite fait, mais Pélé m’inclina polîment sa tête en passant. On allait sûrement se revoir.

Le lendemain je voyais le même grand deux-pattes sur le trottoir en face avec un beau bouquet de fleurs-jaunes-mimosa de chez la fleuriste à la main. Il n’osait pas traverser mais il me regarda, fixement et pendant longtemps, avant de repartir.

Le lendemain, Amandine me sorta sur ma chaise et alors rentra au magasin comme toujours pour boire un expresso et regarder son rectangle. Peu après un grand carré-roulant sans-plafond arriva et tout changea très vite. Je me retrouvais deséquilibrée et ensuite soulevée brusquement par des mains puissantes apartenant à un deux-pattes qui portait une masque COVID. Et me voilà qui pouvait regarder enfin autre chose que la rue: le ciel bleu et le soleil et les nuages qui flottèrent tout en haut! Il y avait aussi des pins-parasol et je pouvais enfin, si de justesse, voir que le grand bleu mysterieux fut encore plus bleu et plus mysterieux de près.

Le deux-pattes masqué me bouscula pour me faire sortir du carré-roulant, et il me semblait qu’il dût me connaître déjà parce qu’il me disait ‘mon Dieu, Keska, j’ai fait.’ En franchissant une porte étroite avec difficulté et après une escalade d’escalier encore pire, me voilà dans une petite piece foncée avec un balcon minuscule. Là se trouvait un deux-pattes aux cheveux gris, assis sur une chaise en métale.

‘Papa, voila, maman est de retour,’ disait le premier deux-pattes, en train de hôter sa masque. Je savais déjà son identité en tout cas, parce que Pele le chihuahua m’a accueilli avec un ouah ouah ouah enthousiaste qui ne faisait pas du tout chien de garde.

Le deux-pattes gris au balcon se tourna et poussa un grand cri. Il vint s’installer à coté de moi dans son fauteuil à roulettes et me saisit la main. Ses yeux produisaient une liquide claire – je savais que les jeunes deux-pattes pouvait en fabriquer, mais pas les vieux aussi. Il m’appellait ‘sa Marguerite’. Pélé, assis à ses pieds, me fait un beau sourire de complicité avec un petit clin d’oeil. A coté de nous, dans un grand seau, un bouquet de fleurs-jaunes-mimosas rayonnant.

Après un certain temps j’arrive à comprendre que ces deux-pattes furent père et fils. Pélé venait s’assoir sur mes genoux le soir et m’expliquait beaucoup de choses à travers ses regards tendres et compatisants. J’étais si heureuse de me trouver chez Pélé, Florian et Papa mais je me faisais des soucis aussi. Comment Amandine allait-elle vendre ses robes ses écharpes ses chaussures sans moi, sa Keska?

Un jour j’entends le deux-pattes fils, qui s’appellait Florian, monter de nouveau l’escalier en m’appellant. ‘Mais, Keska, je vais faire?’ Il se versa un verre de liquide ambrée avec une main qui tremblait. Je regardais le gros titre du journal qu’il avait jété sur la table à coté de Papa et moi. Il y avait un image d’Amandine devant Préf-Mode Saint Raphaël: qui à volé le mannequin du Cor des Issambres? Florian fit des allers-et-retours le long du salon en gémissant, mais son Papa, lui, n’avait pas du tout l’air soucieux. Il me tapotait la main et me souriait en disant des gentillesses à sa Marguerite, comme toujours.

Le vendredi matin, on frappa à la porte en bas. Florian descenda et rémonta avec… Amandine! J’étais si heureuse de la revoir. Florian fut devenu tout rouge mais Amandine, toute blême. Elle disait quelque chose de très rapide dont je n’ai pu saisir que ‘ma copine vit tout près…’, ‘elle a tout vu…’ ‘les flics…’ et ‘espèce de perverti…’. Elle avait son rectangle à la main.

Florian, lui, ne put rien dire face à sa colère et essaya de lui offrir de nouveau ses mimosas. Amandine les arracha de ses mains afin de les jéter par terre et marcher dessus avec ses talons rouges, en faisant des gestes et criant à tue-tête.

Florian se mit alors à genoux. Je ne comprennais pas tout ce qu’il disait à Amandine mais il y eut les mots ‘toutou’ et ‘dèces’ et ‘maman’ et ‘démence’ et ‘pitié’.

Apres une minute ou deux, Amandine se pencha pour ramasser les fleurs qu’elle avait pietiné. Florian versa un autre verre de liquide ambrée et le donna à Amandine. Elle s’assit à coté de Papa et prit sa main. Il l’appella sa Marguerite, elle aussi. Je vis une goutte de liquide claire faire une petite ruelle dans le mascara (Clarins) d’Amandine.

Et bien, après un certain temps les choses s’arrangèrent bien. Amandine arriva chez Florian et son Papa avec une petite valise. Elle apporta comme cadeau la paire de chaussures que Pele avait pissé dessus. Florian les installa au jardin pour que Pélé puisse pisser dessus à son gré.

Maintenant je repars au magasin (toujours en passant par l’avenue du grand bleu mysterieux et des pins parasol) mais je ne travaille qu’à temps partiel. Le weekend on dit a Papa que je suis partie au marché ou à la Poste. En semaine je reste avec Pélé et Papa.

A cause de la publicité, les ventes d’Amandine ont quadruplées. Une fois que l’affaire du vol se transforma en jolie histoire d’amour, les Raphaëlois s’arrêtent souvent à coté de moi pour faire des photos devant Préf-Modes et pour s’acheter une robe, une écharpe ou une paire de chaussures.

Amandine me dit des fois maintenant: ‘Keska, il fait beau,’ et ‘Keska, la vie est belle’ et je suis tout à fait d’accord. J’ai deux noms et deux boulots et ça me plaît beaucoup. Et j’ai même un petit toutou à moi tout beau tout blanc avec une laisse rouge et un collier diamanté.

Un chihuahua qui s’appelle Pélé.

L’ecrivain Vee Walker est francophone et francophile. Elle vit dans les Highlands de l’Ecosse. Si ce récit vous a plu, pourquoi pas la laisser un petit message?

Bien que Keska et le toutou ait lieu à Saint-Raphaël, les personnages et les magasins sont tous inventés. Merci aux négociants des commerces qui les ont inspirées.

Le roman de la Grande Guerre de Vee, Major Tom’s War, sera bientôt lancé en édition française sous le titre Grande Guerre, Petits Destins.

Vee va passer les mois de janvier/fevrier 2024 à Saint Raphaël de nouveau et pendant ce temps elle a déjà proposé une résidence littéraire bilingue au lycée St-Exupery et à la bibliothéque de Saint-Raphaël.

Vee fait souvent des interventions auprès des clubs lectures et des atéliers mémoirs en Ecosse et en France.

Au plaisir…

http://www.majortomswar.com.

Author: veewalkerwrites

Hello new readers. If you enjoy my blog why not try my prizewinning novel of WWI, Major Tom's War? It's available as a revised and expanded second edition in paperback and on Kindle. You can order it via my lovely publisher Kashi House at www.kashihouse.com or from any good bookseller. Ask me nicely and I can send you a signed/dedicated copy for just £12 including UK postage and packing 🙏🌹

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